l’église de Lussac

EGLISE St-Pierre de LUSSAC

HISTOIRE et DESCRIPTION

En dépit de l’apparence de son clocher, et contrairement à certains dires et écrits … l’Eglise de LUSSAC, près de Saint-Émilion, Département de la Gironde, n’est pas un édifice du XIX° siècle, hormis la nef et le clocher actuels.

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HISTORIQUE

L’histoire de cette église est marquée par des épisodes mouvementés.
On sait que le nom de Lussac vient du gallo-romain « Luccius », noble et important personnage, qui vivait au premier siècle de notre ère, dans la « villae Lussaca », dont on a retrouvé les vestiges à cinq cents mètres du Bourg actuel, incendiée et détruite irrémédiablement, en 414, lors des invasions wisigothes.
Le mégalithe de « Picampeau » témoigne des usages druidiques de sacrifices d’animaux dans la forêt sur la hauteur proche du village.
Le christianisme gagna la région au IV° siècle, avec la venue du grand apôtre St-Romain (ordonné par St-Martin de Tours), qui évangélisa le Blayais et le Libournais.
Une première église, probablement en bois, était construite à l’emplacement actuel. Elle ne survécût pas aux incendies et ravages des Normands, lorsqu’ils s’établirent en Lussacais.
Au XII° siècle, un édifice roman fut bâti en pierres du pays. Il était formé d’une nef rectangulaire à chevet plat surmonté d’un pignon.
En 1180, l’archevêque de Bordeaux, Guillaume I° le Templier, concéda cette église de Lussac (dédiée à St-Pierre) à l’Abbaye de Faise, qui en conserva la tutelle jusqu’à la Révolution.
L’Abbaye de Faise avait été fondée en 1137 sur la paroisse de Lussac, par Pierre II de Castillon, et confiée à Pierre de Gérard, Abbé de Cadouin de l’Ordre de Cîteaux. Le premier Abbé fut Raymond de Cadouin. Les moines construisirent l’Abbaye avec cloître, église, chapelle et dépendances. Ils défrichèrent la forêt, cultivèrent des terres nouvelles. Ils firent évoluer les techniques culturales, tout en menant une vie de prière, de travail, et d’aide aux populations locales.
Ils accueillaient aussi les pèlerins en route pour St-Jacques de Compostelle. La région était en effet sillonnée par des passages vers ce haut-lieu de pèlerinage médiéval, entre deux voies principales, la « via Turonensis » (venant de Paris-Tours et passant par Bordeaux) et la « via Lemovicensis » (venant de Vézelay-Limoges et passant par Ste-Foy et Bazas). Une des nombreuses ramifications routières, venant d’Angoulême pour rejoindre la « via Turonensis » à Belin, passait en Lussacais, à St-Emilion, traversait la Dordogne et amenait les pèlerins à l’étape de la Sauve-Majeure, lieu de ralliement important, d’après le « Guide du pèlerin » du moine poitevin Aimery Picaud, écrit au XII° siècle.
De l’Eglise romane du XII° siècle, il persiste actuellement les côtés du sanctuaire appuyés sur deux contreforts romans, un de chaque côté.

Lorsque l’Aquitaine fut anglaise, trois siècles durant, après le mariage d’Aliénor avec Henri II Plantagenet, la Guyenne était prospère et développa les cultures de la vigne, des fruitiers, des céréales, l’élevage, et le commerce de tous produits, en particulier du vin.
A la fin de la guerre de cent ans, l’église de Lussac eût beaucoup à souffrir des passages des troupes de Charles VII, qui ravagèrent le pays, pourchassant les Anglais, vaincus à la bataille de Castillon le 17 Juillet 1453. La campagne resta exsangue, et fut repeuplée avec l’aide des angoumois, saintongeais, poitevins et périgourdins.
Au XV° siècle, des travaux majeurs de restauration de l’église St-Pierre de Lussac furent entrepris, en modifiant la structure par un agrandissement. Les murs latéraux de la nef romane furent remplacés par deux gros piliers toujours actuels, et on construisit les bas côtés de style gothique, existant à ce jour. Le choeur et le chevet romans étaient conservés.
Aux XVI° et XVII° siècles, lors des guerres de religion, l’église de Lussac fut à nouveau gravement pillée et saccagée. En 1587, Henri de Navarre, futur Henri IV, gagna la bataille de Coutras sur les catholiques. Les troupes du Vicomte Henri de Turenne ravagèrent la région. Les huguenots firent de même. L’église de Lussac fut plusieurs fois profanée et très endommagée. En 1622, les soldats du Marquis de la Force et Montpouillan, revenant de La Rochelle, mirent encore l’église à sac, comme les maisons du bourg et les seigneuries des environs. Les chapelles rurales du Temple d’Alleman à « Pourteau » et de Notre-Dame au « Courlat » furent incendiées. Le pillage impitoyable portait aussi sur l’argent, l’or, les vases sacrés, les reliques, les autels, les vitraux, les cloches, les fonts baptismaux, ainsi qu’il est constaté dans un procès-verbal établi lors de la venue à Lussac du Cardinal de Sourdis, le 24 Juillet 1623. Les voûtes et la toiture nécessitèrent de nouvelles restaurations qui furent menées avec diligence. En 1625, l’église de Lussac était réparée, et une relique de la « vraie croix » restituée.
Cette période est qualifiée de particulièrement funeste.
La Peste, qui ravagea Libourne en 1607, puis les campagnes en 1630 et 1631, fit 249 morts à Lussac pour la seule année 1631.
La Fronde ramena la soldatesque sur la région en 1649.
Tous ces épisodes historiques sont relatés par le Curé Caudroy dans ses registres paroissiaux et ses lettres à l’archevêché, et aussi par Maître Bertrand Ballet, Notaire royal à Lussac et Juge de paix à St-Georges dans son « Livre de Raison ». Ce dernier, lors de son décès le 4 Janvier 1673, fut enseveli en l’église de Lussac, près de l’autel Ste Marguerite.
Le grand hiver de 1709, très rigoureux, fit encore beaucoup de morts à Lussac, engendrant la faim, la disette et la misère, que les moines de Faise tentaient de soulager.
Parmi les Abbés « commendataires » de Faise, on compte Joseph de Secondat de Montesquieu (de 1666 à 1725) puis Charles Louis de Secondat de Montesquieu (de 1725 à 1754), respectivement oncle et frère de l’illustre écrivain de « La Brède ». Leur résidence privée était alors au château « La Tour de Ségur », existant encore de nos jours. Ils furent tous deux de généreux bienfaiteurs pour Lussac. Le 42° et dernier Abbé de Faise fut Godefroy de Guyonnet de Montbalen (de 1765 à 1791). Issu d’une noble famille originaire de la Saintonge, ses armes à trois perdrix figurent actuellement sur le blason de Lussac. Homme de coeur, il fit du bien autour de lui et prodigua des libéralités à Lussac. Il fit fondation de trois soeurs de charité à la paroisse, qui soignaient les malades et éduquaient les jeunes filles. En 1773, il reçut à Lussac le prince de Rohan, cardinal archevêque de Bordeaux.
A la Révolution, le Couvent de Faise fut saisi comme bien national et vendu aux enchères publiques le 14 Mai 1791. Les moines fuirent et se dispersèrent. Les bâtiments de l’Abbaye subirent une destruction sauvage. Il ne subsiste plus rien de l’antique église romane dédiée à St-Antoine, ni de la chapelle Ste-Quitterie. Les seuls vestiges sauvés sont ceux de l’aile Ouest, comportant deux séries d’arceaux superposés avec balustrade en pierre (propriété actuelle de la famille de M. Maurice Druon).

Le curé de Lussac, à l’époque révolutionnaire, Messire Thomas Prendergast, en place depuis 1779, refusa de prêter serment, tout comme son vicaire Burke, et de se soumettre à la Constitution Civile du Clergé, votée en 1790. Condamné à la déportation, il quitta le pays le 9 Septembre 1792 à bord du navire irlandais « La Favorite Nanny » pour Bilbao. Plus tard, il fut aumônier des Gardes Vallonnes en Espagne.
Durant les exactions antireligieuses de 1793, des mutilations regrettables et sacrilèges furent commises dans l’église de Lussac. Statues et sculptures étaient particulièrement attaquées par les piques révolutionnaires, les traces de ces mutilations sont toujours visibles.
Au XIX° siècle, des travaux structurels furent réalisés.
Le Cimetière, qui occupait la place devant l’Eglise, devenu trop exigu, « foulé par les hommes et souillé par les animaux », fut transféré à son emplacement actuel, sur un terrain acheté au sieur Ballet. La délibération du Conseil Municipal, en date du 7 Mai 1818, sollicitait l’autorisation du transfert auprès de Mgr d’Aviau, archevêque de Bordeaux, qui rendit son ordonnance le 1° Juillet 1823. M. Drivet, Maire, et M. Boussier de Rochepine, Curé, étaient nommés commissaires chargés du bon déroulement des opérations, lesquelles furent terminées en 1824.
L’église subit, quelques décennies plus tard, une restauration radicale, entreprise par l’architecte Gustave Alaux, selon les directives du Cardinal Donnet, qui voulait construire des clochers en forme de flèches aux églises de son diocèse. Avant 1860, nous disent les historiens, « le choeur et le chevet roman de l’église de Lussac subsistaient entièrement, ainsi qu’une partie de l’ancienne porte dont on voyait quatre colonnes courtes, mi engagées, à grands chapiteaux coniques ornés d’animaux fantastiques … Le clocher était au dessus de cette porte, à section rectangulaire. A l’angle nord-ouest était lié un escalier renfermé dans un massif carré. Ce clocher avait l’apparence d’un petit donjon. Tout proche, il y avait une autre tour carrée, surmontée de mâchicoulis. Au flanc sud du chevet, on voyait les restes d’une guérite ronde ».
L’architecte Alaux démolit le clocher fortifié et le chevet plat, et construisit un clocher avec flèche, une abside, et la voûte de la nef centrale, pour « unifier » le reste de l’église, mais fort heureusement il conserva les bas-côtés du XV° siècle aux voûtes remarquables.
A la suite d’un incendie et d’un coup de foudre, la flèche actuelle fut reprise en 1934.
Pour terminer ce rappel historique, signalons que le village des Artigues, qui faisait partie de la Paroisse et de la Commune de Lussac, privé de l’Eglise de Faise, obtint en 1852 l’autorisation de construire son église, consacrée au Sacré-Coeur, inaugurée le 11 Septembre 1853, mais qui ne fut terminée qu’en l’année 1900. La création de la Commune autonome des Artigues-de-Lussac fut autorisée par décret du 14 Août 1869, et devint effective en 1870.
Louis Charrié
Membre de l’Association Historique de Puynormand
Lussac – Septembre 2008
Sources : Histoire de Lussac par J.A. Garde et Corbineau
Histoire de Libourne par R. Guinodie
La Guyenne Militaire par Léo Drouyn
Archives Départementales, Notariales, et Municipales

DESCRIPTION et VISITE

Le visiteur de l’église de Lussac, peut apprécier l’ensemble architectural de l’édifice, en retrouvant les différentes époques de sa construction, par un tour extérieur, puis en pénétrant dans les lieux.
Extérieurement, on remarque sur chacun des côtés du chevet, les contreforts romans du XII° siècle, un de chaque côté. En prenant un peu de recul, on aperçoit au-dessus des toits de la sacristie, deux fenêtres murées, face à l’Est, une à l’extrémité de chaque bas-côté. Elles datent du XV° siècle, et sont de style gothique flamboyant, comportant des meneaux ouvragés en pierre d’une véritable beauté, mais dégradées par le temps.

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A l’angle Nord-ouest de l’église, subsistent deux corbeaux en saillie, à hauteur de la toiture, vestiges de la partie fortifiée du XV° siècle.

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Intérieurement, en entrant par le sas en bois et ses portes latérales, on remarque aussitôt les deux bénitiers imposants en belle pierre patinée, à gauche et à droite, de style et de forme différents. Celui de droite, de forme carrée, porte une inscription en majuscules cyrilliques gravées grossièrement, où l’on pourrait lire « Vini ? Vidi » (« Venez et voyez »), et repose sur un fût de colonne cylindrique.
Celui de gauche, de forme ovale, repose sur un fût de colonne gothique ouvragée.

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La nef centrale ogivale du XIX° siècle paraît lumineuse et équilibrée.
De chaque côté de cette nef, on voit les imposants piliers du XV° siècle, supportant les poussées des voûtes.
Il faut se diriger vers les nefs latérales ou bas-côtés du XV° siècle, et lever les yeux Les voûtes sont du plus heureux effet. Ne pas manquer d’admirer les arcs-doubleaux à ogive surbaissée. Les nervures croisées sont à ogive dans la nef, et à plein cintre dans les bas côtés.

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Les clés de voûtes, qui portaient des médaillons aux Armes des seigneurs de Faise, des statuettes de religieux et autres sculptures, ont été mutilées en 1793.

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A la naissance des nervures des voûtes, il reste des figurines d’un beau travail.

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Remarquer particulièrement la voûte Est du bas-côté Sud, en forme d’étoile, avec liernes et tiercerons, comportant une clé de voûte représentant un blason avec symboles épiscopaux.

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La voûte Est du bas-côté Nord est également intéressante : le corbeau, formant naissance de la nervure d’angle Sud-est comporte une sculpture significative de l’allégorie de la vigne, représentant un personnage tenant un cep de vigne et des raisins. On peut penser qu’il s’agit de St-Vincent, patron des vignerons, ou de St-Urbain, pape, ainsi représenté.

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Sur la clé de voûte un personnage est sculpté (restauration récente). Les voûtes des autres travées méritent aussi d’être admirées. Au fond de l’église, les naissances des nervures sont également sculptées, mais elles ont été endommagées par les piques des révolutionnaires en 1793.
Le choeur du XIX° siècle est entouré de boiseries néogothiques ouvragées.
Le maître autel, en marbre blanc, d’une grande beauté, au fond de l’abside, est surélevé de trois marches en marbre noir veiné de blanc. La table, le tabernacle, son clocheton, et ses côtés formant retable bas, d’un beau marbre blanc ouvragé avec dorures, s’harmonisent parfaitement avec les ogives. Le soubassement comporte cinq sculptures dorées représentant le Christ assis au centre et les quatre évangélistes, Mathieu, Marc, Luc et Jean, pareillement assis, deux de chaque côté, et séparés par des colonnettes.

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Les fresques murales représentent quatre épisodes de la vie de St-Pierre, patron de l’église. On voit la scène du reniement alors que le coq chante trois fois, la libération des liens lors de son emprisonnement, l’apôtre affirmant sa foi à Jésus au bord du Lac de Tibériade après la pêche avec André, Jacques et Jean, et l’apôtre évangélisant sur le parvis du temple et guérissant le paralytique …
Les vitraux représentent, avec des verticilles et motifs géométriques, le Bon Pasteur, au centre, puis St-Pierre et St-Paul de chaque côté.

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Deux statues du Sacré-Coeur et de St-Joseph sont aussi sur chacun des murs latéraux du choeur.
La chaire est en bois ouvragé.
Dans les nefs latérales, les autels sont en bois ouvragé, ornés de lambris et boiseries néogothiques de belle facture, avec chandeliers en bois assortis. Celui de droite, dédié à Marie, est surmonté d’un tableau représentant l’Assomption, et flanqué de deux statues de la Vierge.

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Celui de gauche est dédié à St-Michel, et surmonté d’un tableau représentant l’archange terrassant le dragon. Ils ont tous deux conservé leur sainte table en fonte moulée et ornée de dorures, formant entourage.
Quelques statues représentent, sur le mur Nord : Ste-Thérèse, St-Antoine-de-Padoue, Ste-Jeanne d’Arc, et sur le mur Sud : Notre-Dame de Lourdes, Marie et l’enfant Jésus, Ste-Bernadette. Deux peintures sur cadre figurent l’une la vision de St-Bernard-de-Clairvaux (moine fondateur d’abbayes cisterciennes), et l’autre l’icône de Notre-Dame du Perpétuel Secours. Les 14 stations du chemin de croix en albâtre sont réparties sur les murs latéraux.

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Le confessionnal en bois est au fond de la nef de droite.
Les fonts baptismaux, au fond de la nef de gauche, comportent une vasque octogonale en marbre blanc veiné, sur colonne, entourée d’une grille en fer forgé.

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Il y a lieu de noter, avec la luminosité des lieux, variant selon l’heure de la journée, la bonne qualité de l’acoustique de l’église.
En outre, prolongeant la visite du patrimoine religieux dans la campagne environnante de Lussac, aux croisées de chemins, on peut remarquer un bon nombre de Croix ou Calvaires, vestiges de la ferveur des siècles passés. Ces éléments patrimoniaux, relativement distants du Bourg, sur les voies de circulation, près de carrefours, marquaient aussi au moyen-âge la limite territoriale du village, et le périmètre à l’intérieur duquel était perçue la dîme de la paroisse (croix dîmiaires) : Telles sont la « Croix de Blanchon » (vers Puisseguin) et la « Croix des Adams » (vers Montagne). La « Croix de Péroli » (vers Coutras et Les Artigues) serait édifiée en un lieu où aurait existé un gibet ou une potence (pilori). La « Croix de Normand » (vers St-Médard), plus récente, est une croix de mission ». La « Croix de Gonnat », (dans le hameau du même nom), plus éloignée du chef lieu, marque un endroit particulier, c’est peut-être l’emplacement d’une « croix d’oraison » où se recueillaient les pèlerins. Il en est de même de la « Croix de Chouteau ». La remarquable « Croix hosannière du Lyonnat », proche des deux précédentes, mérite un détour.

Louis Charrié
Membre de l’Association Historique de Puynormand
Lussac – Septembre 2008