La pierre de Picampeau
Dominant le village de Lussac, le tertre de Picampeau offre une vue admirable sur une partie du vignoble lussacais, lequel repose paresseusement sur l’océan houleux de verdure que forment coteaux et vallons. Disséminés dans ce décor, bois et bosquets donnent force et relief à un paysage qui n’en manque déjà pas.
Mais la particularité du tertre de picampeau réside par la présence en ces lieux d’un mystérieux mégalithe qui, entre chênes et broussailles, s’y dissimule.
La pierre de Picampeau, ou la pierre des martyrs, ou la pierre à bassin ou à
Évier, son nom diffère selon les interprétations scientifiques et les sensibilités.
Portrait de l’énigmatique mégalithe.
La pierre de Picampeau est un énorme bloc de calcaire de 6 mètres de longueur sur 4 mètres de large. Dans son milieu et sur la face inclinée est creusée une sorte d’auge en forme de trapèze allongé. De la petite base part une rigole qui communique avec le bassin par un trou circulaire et descend jusqu’à l’extrémité de la pierre. Aux extrémités de la table existent 2 trous cubiques de 15 à 20 centimètres et dans la partie basse 2 trous semi sphériques.
Enquêtes et interprétations.
De tous temps, « cette belle endormie », a excité la curiosité des archéologues et historiens et donné libre cours à diverses interprétations aussi variées les unes que les autres.
Ainsi, si certains pensent que cette pierre était destinée au recueillement des eaux de pluie, d’où le nom de pierre à bassin, d’autres pensent plutôt à un lieu de célébration de culte et de sacrifices, d’où le nom de pierre des martyrs. Dans les 2 cas, l’hypothèse émise est celle de l’intervention de l’homme qui aurait sculpté la pierre pour son usage personnel. Une autre hypothèse est celle d’une érosion naturelle: « Beaucoup croient encore que ce sont les druides ou leurs devanciers de la préhistoire qui ont creusé ces marmites ou ces vasques pour y verser le sang des victimes immolées. Dans certains cas on comprend que cette idée ait surgi car on a affaire à des blocs ou des monolithes isolés, creusés d’une seule auge ou marmite, on a alors pensé à des pierres sacrificatoires. La chose serait admissible à la rigueur si elle était rarissime; mais l’abondance de tels rochers et l’identité morphologique des cavités qui s’y trouvent creusées avec celle des ensembles imposants que l’on trouve parfois, prouve que l’on est en face d’un phénomène d’érosion naturelle… » Henri Pelletier (La Limagne : géologie et archéologie).
En 1842, l’historien Ducourneau, après des fouilles effectuées au pied du monument, découvre des tessons de céramiques gaulois. Il prend la pierre pour un Dolmen (Guyenne Historique et Monumentale).
En 1845, l’historien du libournais, Guinodie, reprend les travaux de Ducourneau. « Des débris de vases antiques ont été trouvé autour d’elle, les prêtres gaulois les employaient sans doute dans les cérémonies ». Sa conclusion est que la pierre servait donc à des cérémonies druidiques.
En 1876, Léo Drouyn, l’illustre archéologue et dessinateur du libournais, réfute les théories des deux historiens. Cependant il livre à son tour une description erronée de la pierre et un dessin paru dans le Bulletin de la société archéologique de Bordeaux. Nous ne garderons de cette version que le côté artistique de l’œuvre graphique.
Pierre à évier à lussac ( Gironde). illustration pour dolmen apocryphe par M. Lép Drouyn, bulletin de la société archéologique de Bordeaux, 1876, vol. 3, page 56. morsure sur zinc n° 1305
Il faut attendre l’année 1943 pour que de nouvelles recherches poussées soient effectuées par J. A. Garde et ses collègues.
Leur étude minutieuse de la pierre démontre que sa partie nord a été aplanie afin de dégager le bassin et sa rigole. La partie sud encore à l’état brut semble néanmoins avoir été préparé en vue de modifications. En effet les 3 longs sillons signalés par Léo Drouyn (voir dessin), sont plus un amorçage de dégagement de la pierre que des rigoles de canalisation. Celles-ci contrairement au dessin de l’artiste ne se rejoignent d’ailleurs pas. Les fouilles entreprises par J.A Garde et son équipe au pied de la pierre et sur la terrasse la supportant ramenèrent à la surface une trentaine de tesson de céramiques gauloises ainsi qu’un fragment ornementé avec portion de col de vase également de pur facture gauloise. Par contre aucune présence de silex taillés ou d’éclats de taille. Des fouilles préliminaires effectuées dans les vignes autour des bois de Picampeau ainsi que le long du banc de rocher ne donnèrent aucun résultat. Les objets gaulois trouvés au pied de la pierre prouvaient donc bien leur rapport au monument et surtout l’usage de celui-ci par les druides.
Résultats de l’enquête
De toutes ces recherches et interprétations diverses, que peut on en déduire ?
Son origine :
Ni menhir renversé, ni table de couverture d’un dolmen, ni même un mégalithe au vrai sens du mot, puisque son origine semble postérieure à la période néolithique préhistorique, il semblerait donc que la pierre de Picampeau se soit tout simplement détaché du banc de rocher qui forme le plateau de Picampeau.
Son aspect :
Selon Henri Pelletier (géologue et archéologue), les pierres à bassin seraient creusées de la sorte par le phénomène naturel qu’est l’érosion.« A la surface des bancs de grès s’observent parfois des dépressions hémisphériques de quelques centimètres ou de quelques décimètres de diamètre : ce sont les cupules et les cuvettes. Leur origine est naturelle. En effet, certains bancs de grès renferment des concrétions sphériques, de taille variable, riches en carbonate de calcium. Lorsque ces roches viennent à affleurer, les eaux de ruissellement dissolvent les carbonates. Alors naissent des cavités de section circulaire, cupules et cuvettes. »
Cependant, les études menées par J.A.Garde démontre bien l’intervention de la main de l’homme sur la surface de la pierre. Une question se pose alors. L’homme a-t-il entièrement sculpté la pierre ou bien a-t-il repris une œuvre amorcée par la nature pour créer un monument à son usage. Dans les deux cas, cette question semble bien moins importante que l’utilisation finale de la pierre.
Sa destination finale :
Une présence importante gauloise dans le lussacais et ne fait pas l’ombre d’un doute. On fait généralement dériver le nom de Lussac du patronyme d’un grand propriétaire gallo-romain Luccius, possesseur de la villa aux Ier et IIème siècles, d’après les vestiges retrouvés. Enfin, c’est dans la commune limitrophe de Tayac, exactement à 6 km 500 du bourg de Lussac que fut faite, en 1893, la trouvaille retentissante d’un trésor gaulois : torque en or massif (au musée de Bordeaux), 73 lingots, 325 statères ou quarts de statères des peuplades gauloises des Arvernes et des Bellovasques .Et le rapport Garde démontre bien l’utilisation de la pierre par leurs druides.
Quant à l’hypothèse que les cérémonies druidiques étaient des cérémonies sacrificatoires humaines, la présomption est probable. Dans la guerre des Gaulles, Jules César nous fait ainsi le portrait des gaulois. «Tout le peuple gaulois est extrêmement religieux ; aussi, ceux qui sont atteints de maladies graves, ceux qui prennent part aux risques des batailles, offrent-ils des sacrifices humains ou font-ils vœu d’en offrir, par le ministère des druides. Ils pensent, en effet, que le rachat d’une vie humaine par une autre vie humaine peut seul apaiser les dieux immortels : les cités ont des rites officiels du même genre. Certains peuples ont des mannequins de taille colossale, en osier tressé qu’ils remplissent d’hommes vivants ; on y met le feu et les hommes périssent carbonisés. Le supplice de malfaiteurs surpris à voler, à commettre un acte de brigandage ou quelque crime passe, à leur avis, pour plus agréable aux dieux immortels, mais faute de criminels, ils n’hésitent pas à sacrifier des innocents. »
On sait peu de choses des gaulois, mais on sait que les druides étaient les prêtres et les savants de l’époque, et qu’ils présidaient donc à la vie religieuse et ainsi aux sacrifices, rendaient la justice, et instruisaient la jeunesse. Le Dieu cruel dont il est fait référence dans les écrits de jules César pourrait fort bien être Taranis , lorsque celui-ci est assimilé au dieu des enfers. Mais lorsque celui-ci redevient le dieu du ciel et du tonnerre, les sacrifices en son honneur étaient des têtes humaines coupées.
Nous savons aussi, d’après les bribes de mythologie parvenues jusqu’à nous que les gaulois vénéraient les forces de la Nature et leurs vouaient différents cultes. Le chêne était considéré comme le Dieu suprême.
Beaucoup de faits concordent.
La pierre mystérieuse repose dans un bois de chênes, un lieu sacré hautement symbolique pour les gaulois. Dans ce sanctuaire repose comme un autel une pierre possédant un grand bassin récepteur, comme pour recevoir une tête tranchée, et une rigole qui descend de ce bassin comme pour écouler vers le bas de la pierre le sang de la victime, offrandes dont le terrifiant Taranis, un des trois dieux majeurs gaulois, était friand.
Il semblerait bien que la pierre de Picampeau soit bel et bien une pierre à sacrifice gauloise, et que son nom de pierre des martyrs ne soit point usurpé.
En guise de Conclusion
En guise de conclusion , nous ne pouvons que reprendre la conclusion de J.A Garde datant de 1943 ; elle est toujours d’actualité.
«On peut considérer la pierre à bassin de Lussac comme une pierre à sacrifice de l’époque gauloise. Monument de l’antiquité unique en Gironde ,elle mérite d’être préservée des injures des inconscients. La question de son classement comme monument historique, qui n’a pas jusqu’ici été prise en considération par les Beaux-arts doit être reconsidérée à la suite de l’heureux résultat des fouilles effectuées.»
Dominique Rocher (membre de l’association Historique de Puynormand)